GALERIE ISABELLE GOUNOD, PARIS
NOUVELLES VAGUES DU PALAIS DE TOKYO
22 JUIN — 27 JUILLET 2013
Juliette Agnel, Manon Bellet, Anne-Lise Broyer, Claire Chesnier,
Arnaud Maïsetti, Aurore Pallet, Lionel Sabatté, Jérémie Scheidler,
Ester Vonplon

Plus l’oreille s’ouvre aux petits bruits, aux petits bruits secrets, plus ceux-ci se font sonores
— Peter Handke
Prêtons l’oreille à ce qui « bruit » sous les éclats de voix. Ecoutons le langage utopique des souterrains, habituellement caché sous le fracas des sirènes, le tapage enragé et les cris.
Pour cela, l’exposition obéit à une double géographie : à la fois
exposition dans la galerie et espace évolutif sur internet, à travers le
site bruissements.net hébergeant une expérience littéraire proposée à
l’écrivain Arnaud Maïsetti. A travers l’écriture d’un texte en constante
transformation et actualisé chaque jour dans l’exposition, celui-ci
fait entrer le spectateur-lecteur dans l’écriture d’un flux continu,
réagissant à la dimension nécessairement « bruissante » de toute
écriture et de toute actualité, à la « rumeur du monde », diffuse et
tentaculaire.
Lorsque le bruissement se fait vision, c’est un arbre aux feuilles
légères qui tremble, dans les dérives photographiques d’Ester Vonplon
dans une Suisse hors du temps, celle de la mémoire et des maisons
abandonnées ; ou dans le dessin d’Anne-Lise Broyer rejouant
littérairement l’éveil du regard sur toutes choses. Ces œuvres, toujours
à la limite de la visibilité, n’offrent plus qu’une vision troublée,
aux contours imprécis plus que flous, un instant d’attente à la cime des
arbres.
Plus loin, la glace n’aura pas d’autre rivale que la morsure du soleil
et les cendres d’un feu : la caméra primitive de Juliette Agnel
enregistre la vision inversée d’étendues givrées en Islande qui
apparaissent comme des nuages légers et flottants ; pendant que les «
images du hasard » de Manon Bellet, produites par réaction thermique,
laissent apercevoir des clairs de lune, des reflets fragiles que seuls
les contes savent faire naître. Les origines de la photographie ne sont
jamais bien loin, espace inframince dans lequel les images décident
d’apparaître.
La rumeur secrète et animale de la vie urbaine s’incarne dans le
majestueux loup de Lionel Sabatté, rodant dans l’espace de la galerie,
réalisé à partir de poussière grise, ramassée à la station de métro
Châtelet, dans ces couloirs sales où chaque jour, des milliers d’âmes
humaines laissent des traces. Des corps se sont frôlés, des cheveux se
sont envolés, des parcelles de vie se sont consumées et l’artiste est
ici dépositaire d’une matière maudite.
Et puis c’est la nuit, pourtant il nous faut garder les yeux ouverts
dans l’obscurité, afin de distinguer les traînées de lumières laissées
par les voitures, comme des lucioles d’un nouveau genre dans le film
Nuit Blanche #1 de Jérémie Scheidler.
« La lumière s’éteint toujours », nous dit enfin une petite toile
d’Aurore Pallet. Et les yeux se ferment, tout redevient calme, comme
dans le lavis d’encre profonde de Claire Chesnier, seul véritable
crépuscule de l’exposition. Le monde attend son heure, l’éclipse, qui ne
saurait tarder.
Léa Bismuth


